Le Verbe en Mooré

Le Verbe en Mooré
Conjugaison en Mooré : Temps et Modes

Par 
Tasséré Sawadogo
Robert Kiswendsida Kaboré

Rappel
Les Pronoms Personnels Sujets en Mooré

Forme abrégée / forme longue : traduction 
- m(em) / mam : je
- f(ouf) / fo : tu
- a : il/elle
- d(id) / tõnd : nous
- y(i) / yãmb : vous
- b(oub) / bãmb : ils/elles


0.3.7. Le système verbal

0.3.7.1. Le système aspectuel

Le système aspectuel du mooré distingue l’accompli marqué par  « -ø- » et l’inaccompli marqué par le morphème  « -d- » comme dans (7) qui suit : 

 (7)
a. A bʋdame 
 à bʋ́d+ø+àmé [à bʋ́dàmé] 
 3SG semer+ACC.+ASS. 
 = Il a semé.

b. A bʋtame
 à bʋ́d+d+à+mé [à bʋ́ttàmé] 
 3SG semer+INAC.+ASS.+ME 
 = Il est en train de semer.

c. A kẽname
 à kẽn+ø+à+mé [à kẽnàmé] 
 3SG marcher+ACC.+ASS.+ME 
 = Il a marché.

d. A kẽndame 
 à kẽn+d+à+mé [à kẽndàmé] 
 3SG marcher+INAC.+ASS.+ME 
 = Il est en train de marcher. 

0.3.7.2. Le système temporel

Le mooré a trois marques temporelles :

-Le morphème "rá" qui marque le passé ; 
-le morphème "ø" qui marque le présent ; 
-le morphème "nán" qui marque le futur.

Chaque marque temporelle est antéposée au verbe avec lequel elle forme le groupe ou complexe verbal comme dans (8) :

(8) 
a. A ra kelgame
 à rá kèlg+ø+à+mé 
 il PASSÉ écouter+ACC.+ASS.+me
= Il avait écouté. 

b. A ra kelgdame
 à rá kèlg+d+à+mé 
 il PASSÉ écouter+INAC.+ASS.+me
= Il était en train d’écouter. 

c. A kelgdame
 à ø kélg+d+à+mé 
 PRÉSENT écouter+INAC.+ASS.+me
= Il est en train d’écouter. 

d. A kelgame 
 à ø kélg+ø+à+mé 
 il PRÉSENT écouter+ACC.+ASS.+me
= Il a écouté. 

e. A nan kelgame
 à nán kèlg+ø+à+mé 
 il FUTUR écouter+ACC.+ASS.+me
= Il écoutera. 

f. A nan kelgdame
 à nán kèlg+d+à+mé 
 il FUTUR écouter+INAC.+ASS.+me
= Il écoutera régulièrement


0.3.7.3. Eléments du système modal

0.3.7.3.1. L’assertion

« Si j’asserte que "p", […] je tiens à dire que je 
sais qu’il existe un événement, et que "p" est 
l’événement en question. Si j’asserte que "p’", 
j’asserte qu’il n’existe pas d’événement dont je puisse dire que "p" en est une description 
adéquate, ou bien j’asserte qu’il existe un 
événement que je caractériserai comme autre que p. CULIOLI (2000 : 131).

L’assertion est une modalité énonciative consistant en une opération d’association d’une relation prédicative (proposition) à une et une seule valeur : soit la valeur "p", soit la valeur "p’" (autre que p).

Selon les grammaires du mooré, la marque de la déclaration affirmative est  « lame » dont les formes tronquées sont  « ame » et  « a » . Lorsque "lame" n’est pas séparé du verbe par un pronom objet, sa forme en a subit une assimilation totale par la voyelle qui la précède comme dans (86), pages 221 à 223.

Nous poserons plus loin sous 2.2.5.1.3, page 255, que la forme la de la suite "(l)ame" suffixée ou postposée au verbe ou "le" "la" dans les énoncés non verbaux est le marqueur de l’assertion en mooré.


0.3.7.3.2. L’injonctif

Convenons ici d'employer le terme injonctif comme un hyperonyme incluant les modalités suivantes :  « impératif »,  « subjonctif » et  « optatif » en mooré. Nous traiterons ici de ces trois modes en raison de leur importance dans l’étude du marqueur "tɩ". 


L’impératif

L’impératif est une modalité de l’énoncé qui exprime, dans le cadre d’une relation prédicative, un ordre. L’enjeu dans l’impératif est de faire passer de rien à quelque chose. Formellement, l’impératif se distingue des 
autres modalités injonctives par : 

1. le fait que seules les formes brèves des pronoms 2ème personne du singulier et 2ème personne du pluriel peuvent assumer le rôle d’argument sujet dans l’énoncé ;

2. la postposition de l’argument sujet par rapport au verbe ;

3. le fait que le verbe se présente sous sa forme de citation, c'est-à-dire sans affixes marquant le temps ou l’aspect.

La série qui suit dans (9) illustre ces faits de langue : 

(9)
a. Pake
 pàkè ø 
 ouvrir 2SG
= Ouvre !
 
b. Pak-y
 pàk ý 
 ouvrir 2PL 
 = Ouvrez !

c. Tɩ pake
 tɩ̀ pàkè ø 
 tɩ ouvrir 2SG
 = Va ouvrir.

d. Tɩ pak-y
 tɩ́ pàk ý 
 tɩ ouvrir 2PL
 = Allez-y ouvrir !
 
e. 
 *fþ tɩ́ pàkè 
 2SG tɩ ouvrir

f. Tɩ pake
 *fþ tɩ̀ pàkè
2SG tɩ ouvrir

g. Y tɩ pake
 *ý tɩ́ pàkè 
 2SG tɩ ouvrir

h. Y pake
 *y pàkè 
 2SG tɩ ouvrir


 
L’optatif

L’optatif s’entend comme une modalisation de l’énoncé qui exprime une suggestion, une requête, une prière. Dans l’optatif, une position ouverte est donnée à l’interlocuteur : il a le choix d’aller ou pas dans le sens de l’intention formulée par le locuteur. Du point de vue formel, l’énoncé comportant la trace de l’optatif se caractérise par :

. l’antéposition du sujet syntaxique par rapport au verbe ;

. l’occurrence du verbe sous sa forme de base.

Le répertoire des pronoms sujets se présente comme suit :

Pronoms atones Pronoms toniques non vocatifs 
1PL d; tõnd 
2SG fò 
2PL yãmb

Il existe deux formes de l’optatif :

1) L’optatif simple

Dans le cas de l’optatif simple ou suggestion simple, le pronom sujet est sous sa forme atone. Quant au verbe, il se présente sous sa forme de citation modifiée par un ton H grammatical. On peut dire par raccourci que c’est ce ton H qui est la marque de l’optatif. Mais d’un point de vue technique, ce ton H est la trace de la construction d’un repère décroché hors-S0 (l’énonciateur) et hors S’0 (coénonciateur) permettant ainsi à 
l’interlocuteur d’envisager ou pas le procès dont il est question dans l’énoncé. Au niveau de l’ancrage, s’il y a occurrence de l’unité morpho-lexicale tɩ entre le pronom et le verbe, la marque tonale de l’optatif est associée à cette unité morpho-lexicale.

Seul le pronom 1ère personne du pluriel est admis dans le cas de l’optatif simple comme dans (10) :

 (10) 
a. D pake
 dí pákè 
 1PL ouvrir
 = Ouvrons !

b. D tɩ paje
 dí tɩ́ pàkè 
 1PL tɩ ouvrir
 = Allons ouvrir !

N. B: 19 Les formes toniques vocatives correspondantes sont respectivement yãmbà, tõndò et fóo.

Le pronom vocatif est toujours suivi d’une pause. L’emploi d’un pronom vocatif se fait 
toujours de manière simultanée avec l’emploi d’un pronom sujet de forme brève postposé au verbe comme dans : yãmbà, yìk-ý ! où ý est le pronom sujet postposé.

Sujet de l’énoncé, c’est soit l’unité morpho-lexicale, notamment  « tɩ », intercalée entre le pronom et le verbe, soit le verbe lui-même qui porte le ton H marquant l’optatif.

Illustration :

(11)

a. Yãmb tɩ pake
 yãmb tɩ̀ pàkè 
 2PL tɩ ouvrir 
 = N’écoutez pas ce qu’il vous dit ; allez-y ouvrir comme vous le souhaitez !
 
b. Yãmb pake
 yãmb pàkè 
 2PL ouvrir 
 = N’écoutez pas ce qu’il vous dit ; ouvrez comme vous le souhaitez !

c. Tõnd tɩ pake
 tõnd tɩ̀ pàkè 
 1PL tɩ ouvrir 
 = Nous plutôt, allons ouvrir !

d. Tõnd pake
 tõnd pàkè 
 1PL ouvrir 
 = Nous plutôt, ouvrons ! 

2) L’optatif polémique

Dans le cas de l’optatif ou suggestion polémique, la forme tonique non vocative du pronom est suivie du verbe sous sa forme de citation. Seuls les pronoms toniques 2ème personne (pluriel et singulier) et 1ère
personne du pluriel sont admis dans l’optatif polémique. C’est le pronom sujet qui porte généralement le morphotonème H de l’optatif polémique à l’exception du pronom 2ème personne du singulier. Lorsque c’est la forme tonique non vocative du pronom 2ème personne du singulier qui est le e.

e. Fo tɩ pake
fò tɩ́ pàkè 
 2SG tɩ ouvrir 
 = N’obéit pas à ce qu’il dit ; vas ouvrir comme tu le souhaites

f. Fo pake
 fò pákè 
 2SG ouvrir 
 = N’obéit pas à ce qu’il dit ; ouvres comme tu le souhaites


Le subjonctif

Nous entendons par subjonctif, un impératif de fiction : une relation prédicative à l’impératif est repérée non par rapport au repère origine, mais par rapport à un repère fictif ; il y a donc un décrochage du repère de la relation prédicative par rapport au repère origine. La conséquence est que la représentation de l’ordre de passer de rien à quelque chose ne peut être ramenée au garant et ainsi être validée comme ce qui ’’est le cas’’, c'est-à-dire construit ou représenté comme étant effectif.

Au niveau syntaxique, le verbe de l’énoncé est toujours précédé d’un argument sujet explicite. Sur le plan morphologique, le verbe au subjonctif est caractérisé par l’occurrence d’un ton H grammatical sur sa première syllabe. C’est donc le ton H qui, en modifiant la forme de citation du verbe, distingue finalement forme impérative et forme 
subjonctive d’un verbe en mooré. Toutefois, au cas où une autre unité morphologique précède le verbe et compose avec ce dernier un groupe verbal, c’est cette unité qui porte le ton H qui est un ton grammatical flottant. Ce ton H, qu’il soit porté par l’unité morphologique précédent le verbe ou qu’il soit porté par le verbe lui-même, opère un repérage en rupture. Le repérage en rupture ou décrochage se fait par rapport à des 
paramètres énonciatifs. Ce marqueur tonal fait l’objet d’une analyse approfondie sous

 1.2.3 plus loin.

Illustration :

(12)

a. Bɩ tɩ paje
 bí tɩ́ pàkè 
 3PL tɩ ouvrir
 = Qu’ils aillent ouvrir

b. A tɩ pake
 à tɩ́ pàkè 
 3SG tɩ ouvrir
 = Qu’il aille ouvrir
 
c. A pake 
 à pákè 
 3SG ouvrir
 = Qu’il ouvre

d. Bɩ pake
 bí pákè 
 3SG ouvrir
 = Qu’ils ouvrent

Pour conclure sur ce point, considérons les données dans (13) :

(13)

a. Pak-y
 pàk-ý 
 ouvrir+2PL 
 = Ouvrez !

b. Pake
 pàkè-ø 
 ouvrir+2SG 
 = Ouvre !

c. Yãmb pake
 yãúmb pàkè 
 2PL ouvrir 
 = Ne l’écoutez pas, ouvrez plutôt !

d. Fo pake 
 fò pákè 
 2SG ouvrir 
 = Ne l’écoute pas, ouvre plutôt !

Le rapprochement entre (13b) et (13d) permet de poser que "ø" et "fò" sont des allomorphes de la marque de la deuxième personne du singulier puisqu’ils sont en distribution complémentaire : 

-ø, postposé au verbe à l’impératif ; 
-fo, antéposé au verbe à l’optatif.

Quant au rapprochement entre (13a) et (13c), il permet de poser que  « yãmb » et  « ý » sont des allomorphes de la marque de la deuxième personne du pluriel. En effet, ils sont en distribution complémentaire :

-yãmb, antéposé au verbe à l’optatif ; 
-ý, postposé au verbe à l’impératif.

0.3.7.3.3. Le conditionnel

Avec le conditionnel l’on asserte un événement P sur un plan I, puis, l’on repère le plan I par rapport à un repère décroché IE à partir duquel l’on peut à nouveau envisager soit P, soit non-P. L’événement P devient 
donc un événement fictif ou « fiction d’assertion ».

Le conditionnel est marqué généralement par  « sãn » , que nous analysons en deux morphèmes :

• Le ton H qui est la trace de la construction du plan décroché IE ; 
• sãn qui est la trace du repérage du plan I de l’événement par rapport à IE.

Photos d'illustration : les livres sur le mooré

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